« Mes costumes iront au Musée olympique »
C’est un Kévin Germanier abordable, authentique et souriant qui fait face au public de la Foire du Valais à Martigny. Le styliste de mode valaisan était l’invité exclusif de la Banque cantonale du Valais (BCVS) le dimanche 6 octobre. Changement de décor radical pour lui. Il y a deux semaines, il éblouissait de son audace la Fashion Week de Paris. Peu importe, Kévin Germanier est de retour pour quelques heures sur ses terres. Et cet espace de légende ne lui est pas totalement étranger. Il réveille même quelques souvenir en lui. « Je n’ai pas honte de le dire, je faisais aussi la Foire. Tout ce monde, c’est génial, un truc de fou ! »
Durant quarante-cinq minutes, il s’est prêté au jeu des questions-réponses. C’est une autre figure valaisanne connue, la journaliste Manuella Maury, qui a mené l’entretien. Un moment de bonheur simple dont on partage ici quelques extraits.
Kévin Germanier a répondu avec sincérité aux questions posées par Manuella Maury, interagissant également avec le public présent.
Vous avez vécu une année complètement folle, notamment avec les Jeux olympiques de Paris 2024 cet été. Comment cette proposition s’est-elle matérialisée ?
Daphné Burki, la directrice stylisme et costumes des Jeux, est une amie de la marque Germanier depuis ses débuts. Elle m’a contacté à l’origine pour travailler sur la cérémonie d’ouverture. Lors du premier entretien, le directeur artistique Thomas Jolly m’a demandé de confectionner les costumes de la cérémonie de… clôture. Il ne voulait pas se prendre la tête avec cet événement et cherchait quelqu’un de sympathique, discret mais performant.
Quand on parle de Germanier, des mots comme recycler, durabilité et responsabilité, sont la base de tout. Comment est-ce possible de les intégrer dans une cérémonie de l’ampleur des Jeux olympiques ?
Pour moi, c’était d’autant plus important que je travaillais sur un projet qui touchait le monde entier. Je n’y aurai pas participé sans cette notion d’éthique.
Concrètement, que signifie éthique ?
Cela veut dire que moi et mon équipe, avons été très pénibles. J’ai demandé à voir l’origine de tous les achats de Paris 2024. L’organisation a été un peu enquiquinée au début, mais a joué le jeu. Thomas Jolly m’avait choisi pour ma démarche éthique et j’avais bien sûr avantage à poursuivre la démarche Germanier. C’est assez incroyable de se dire que toutes les créations de la cérémonie de clôture ont été confectionnées à base de déchets. Le costume du pianiste Alain Roche a été réalisé avec de vieilles cassettes VHS, originaires de Granges. Il y avait des films comme les « Pokémon », la « Soupe aux choux » ou « Mission Impossible ». Ce qui était drôle, puisque Tom Cruise a participé à la cérémonie de clôture.
Je n’aurais pas travaillé pour les Jeux olympiques, sans cette notion d’éthique.
Pour ces Jeux, c’était « open bar », budget illimité et créativité totale ?
Oui pour la créativité. Après, il existe toujours un budget à respecter et on s’y tient. Il est très intéressant de travailler pour quelqu’un, même si au début, ce fut un peu compliqué. Thomas Jolly nous a montré ses volontés, ses souhaits, tout en étant très clair : « Vous n’avez pas le droit de le reproduire ! » On lui a proposé énormément de choses, dont un échantillon sur lequel une erreur a été commise. Il a adoré cette imperfection. Il y avait une pression énorme pour la cérémonie de clôture et, au final, tout a été basé sur une erreur et réalisé avec des déchets.
Qu’est-ce que l’on fait ensuite de ces costumes ?
J’ai le grand plaisir d’annoncer leur retour en Suisse. Le Musée olympique de Lausanne a acquis une grande partie d’entre eux. Ils seront visibles au mois de décembre.
Cette cérémonie, vous l’avez regardée et encore regardée ?
Non. J’y ai assisté avec ma maman, sur un bateau face au pont Alexandre III, et ce souvenir me suffit. Je retiens cette très belle ambiance, des gens du monde entier étaient présents. J’ai rencontré ce papa mexicain qui a économisé pour assister à la cérémonie avec son fils, c’est émouvant. Pendant trois heures, tous les spectateurs se taisent et regardent la même chose. Avec cette cérémonie, la marque Germanier a touché ceux qui ne la connaissaient peu ou pas. C’est génial.
Nabilla dit que vous êtes un génie. C’est fort dans un CV ?
Ça vaut plus que les Jeux olympiques ! (rires). C’est la première fois qu’elle venait à mon show, il y a deux semaines à Paris. Je ne la connaissais pas personnellement, elle était super sympathique.
Nabilla est une vraie femme d’affaires. Est-ce que Kévin Germanier est aussi un businessman ?
Oui, la marque Germanier est un business, notre objectif reste de vendre du produit. J’ai la chance de participer à des projets incroyables qui me sortent de ma zone de confort. Mais il faut faire tourner la machine, faire des shows, « performer ». Le nerf de la guerre reste l’argent.
J’ai la chance de participer à des projets incroyables, qui me sortent de ma zone de confort.
Je m’inquiète pour vous. Je me demande à quel moment vous allez perdre votre générosité, votre simplicité. Mais vous répétez sans cesse : je suis protégé.
Oui. La force de Germanier, c’est son équipe. On a su s’entourer des bonnes personnes. Les proches n’hésiteraient pas à me le dire, si je prenais la grosse tête.
Le pouvoir a des effets sur n’importe quel individu. Des gens modifient leur comportement, notamment l’entourage. L’avez-vous ressenti ?
Je serai grossier si je devais définir ces personnes. Des gens qui ne croyaient pas en Germanier, sont revenues vers moi après les Jeux. Nous collaborons toujours avec les personnes qui nous sont fidèles depuis les débuts, dont la Banque Cantonale du Valais fait partie. C’est très important de garder cette authenticité. Forcément, certains essaient de s’accrocher. Le train est déjà parti, il fallait y monter avant.
Votre génération est décomplexée. A 30 ans, les personnes sont leur propre patron, il n’y a pas d’état d’âme avec l’argent ?
Je ne sais pas si ma génération est plus décomplexée. L’argent fait partie du business. Pour ma part, j’ai peut-être fait preuve de naïveté. Mais j’avais un rêve et je me suis donné les moyens de le réaliser.
J’avais un rêve et je me suis donné les moyens de le réaliser.
La différence est une thématique qui vous tient à cœur. Votre frère a un déficit de mobilité, vous avez toujours été présent pour lui. Quand on le voit à côté de vous, il a quelque chose qui vous illumine. C’est votre fée ?
J’ai plusieurs fées autour de moi, mais lui est particulier. Généralement, les gens qui ont des problèmes plus importants et pourraient se plaindre à longueur de journée, ne le font pas. Ça remet les pendules à l’heure face à nos petits tracas quotidiens. Je pourrai tirer un parallèle avec la cérémonie d’ouverture des Jeux, pour laquelle j’ai créé quelques tenues. On m’a demandé de trouver une égérie. Je vous avoue que l’on a contacté Heidi Klum, mais on tombait dans les clichés de la mode. On a choisi l’escrimeuse italienne Bébé Vio, double championne para-olympique, pour ce qu’elle représentait. C’est une personne très charismatique qui a perdu ses quatre membres, mais qui reste la personne la plus agréable que j’ai rencontrée. Une belle leçon de vie pour moi.
Vous pouvez nous donner un petit scoop au sujet de votre frère ?
La marque Germanier aménagera toutes les vitrines des Galeries Lafayette pour Noël. Mon frère, pour la première fois, a réalisé tous les éléments graphiques. C’est génial. Tout sera visible dès le 14 novembre. La galerie la plus proche de Suisse se situe à Strasbourg. Il va falloir se déplacer.
Kévin Germanier a vécu une année 2024 folle, avec, comme point d'orgue, les Jeux olympiques de Paris 2024. Son prochain projet? Prendre des vacances dès le 24 octobre.
Vous continuez à voyager partout, ce n’est pas très éthique. Comment vivez-vous cela ?
Aïe ! (rires). À Paris, je me déplace à vélo et en train. Pour aller en Chine, je n’ai pas le choix de prendre l’avion.
Vous travaillez aussi au Brésil ?
Nous collaborons avec des prisons à Rio de Janeiro et Sao Paulo. Des prisonniers tatoués et édentés crochètent, c’est très cliché. La marque Germanier investit pour des personnes qui veulent se remettre dans le droit chemin, à la sortie de prison. L’éthique ne concerne pas que la matière. C’est important d’investir notre argent dans des projets qui font sens. Aux Philippines, on travaille avec des femmes qui élèvent seules leurs enfants. Si je vous annonce que mes vêtements sont confectionnés par des enfants au Bengladesh, la plupart des gens seraient déçus, moi le premier.
Croyez-vous à une révolution des consciences dans le milieu de la mode ? Un récent documentaire, épouvantable, montrait que des habits destinés au recyclage finissaient en Afrique et étaient jetés à la mer.
Quand on voit les images auxquelles vous faites référence, non. C’est hyper déprimant. Je ne veux pas passer pour un hypocrite, je pense que la marque Germanier fait le maximum. Réussir les Jeux olympiques, 170 costumes avec de vieux tissus, est la preuve qu’on peut changer les choses. Sans être moralisateur, on n’a pas besoin de plus d’habits sur la Terre, de créer de nouveaux vêtements à partir de nouvelles matières.
Réussir les Jeux olympiques, 170 costumes avec de vieux tissus, est la preuve qu’on peut changer les choses.
Etes-vous parvenu à convaincre le patron de la LVMH ?
Oui en quelque sorte. Je recycle les vêtements invendus du groupe, propriétaire de marques de luxe. J’ai présenté, il y a une dizaine de jours, ma nouvelle collection « Prélude ». Faire changer les choses au sein de l’entreprise la plus riche du monde est très compliqué. On y arrive petit à petit. Quand on est Germanier et qu’on doit agir sur trente personnes, c’est plus facile.
Parmi les jeunes qui nous écoutent, il doit y avoir une fascination pour ce monde de la mode, du plaisir, de la couleur. Mais c’est un monde à la dure, vous vivez comme un moine ?
Je le répète depuis toujours : si vous voulez avoir votre propre marque, ne le faites pas. Ne travaillez pas dans la mode. Je ne veux pas dégoûter les jeunes. Moi, j’adore faire des vêtements, j’adore la création. Après, le monde de la mode et son entourage… ça me permet de rencontrer Nabilla. (rires)