
HC Viège : les dessous d’une réussite
« Il s’agit vraiment d’écrire une page de l’histoire du club »
Peu de connaisseurs du hockey helvétique auraient parié sur une telle affiche. Et pourtant ! Depuis le mardi 1er avril, le barrage de promotion-relégation entre le cancre de National League et le champion de Swiss League oppose Ajoie à Viège. On n’attendait pas forcément les Haut-Valaisans à ce stade de la compétition. L’occasion était donc tentante de comprendre les raisons de cette réussite. La Banque Cantonale du Valais (BCVS) est, depuis des années, l’un des partenaires économiques du HC Viège. Quelques heures avant le début de la série, elle a rencontré Sébastien Pico, CEO du club. Le dirigeant a évoqué son travail, la stratégie du club, les défis financiers auxquels il est confronté, et bien sûr les enjeux sportifs.
Les propos du directeur général sont empreints de sérénité lorsqu’il s’agit de se projeter sur cette finale. Sébastien Pico parle de travail, de respect, d’humilité, convaincu des qualités de son équipe face à un adversaire largement favori. « Le groupe partage des valeurs saines, vraies. Il est engagé, discipliné, jeune, patine beaucoup, avec une bonne assise défensive. Notre entraîneur sait comment monter d’une ligue. On croit en nos qualités, on verra où elles nous mènent. »

Sébastien Pico est le directeur général du HC Viège depuis 2005.
Sébastien Pico, quelle que soit l’issue de la finale, votre saison est réussie, non ?
Oui, clairement. Le titre de champion de Swiss League était attendu depuis onze ans. On peut passer encore à un échelon supérieur avec une éventuelle promotion. Viège n’a connu qu’une seule ascension, en ligue nationale A, en 1960. Il s’agit vraiment d’écrire une page de l’histoire du club. On a transmis ce message aux joueurs à la veille de débuter cette série.
Comment expliquez-vous cette réussite, alors que les dernières saisons étaient plus compliquées ?
Le club a dû se réinventer. Il a connu des succès et des finales jusqu’en 2014. La période qui a suivi fut moyenne sportivement, alors que des pas importants ont été franchis économiquement et en termes d’infrastructures (Inauguration de la Lonza Arena en 2019). Il est toujours difficile d’accorder le sportif, les finances et les infrastructures. C’est un challenge sur lequel on travaille continuellement et, aujourd’hui, on y est arrivé. Viège a un projet durable, laisse simplement grandir et se développer l’équipe. Il existe une pression populaire et médiatique qui souvent ne donne pas le temps au temps. On a pris ce temps et cela nous a donné raison. Le processus ne s’arrêtais pas seulement aux aspects sportifs. Il y a eu un véritable travail stratégique qui a débuté en 2023, un travail sur nos valeurs. Celles-ci ont été définies par les joueurs eux-mêmes, par les fans, par les partenaires. Tout l’entourage du club a pu participer à ce projet d’identification.
Il est toujours difficile d’accorder le sportif, les finances et les infrastructures. C’est un challenge sur lequel on travaille continuellement et, aujourd’hui, on y est arrivé.
Quelle réelle valeur a ce titre de champion de Swiss League, s’il n’est pas suivi d’une promotion ?
En vingt ans de carrière, personne n’a osé me poser cette question (rires). Il suffit de regarder l’effervescence qu’il crée dans l’entourage du club et même au-delà. L’équipe est passablement suivie en Valais et dans toute la Suisse. Pour la majorité des joueurs qui l’ont vécu, le titre reste le sommet de leur carrière. Un titre de Swiss League vaut plus que quelques matches de National League ! Des joueurs de NHL ayant joué à Viège comme Nico Hischier, Nikolaj Ehlers et Alex Kovalev ont suivi nos play-offs et envoyé ce message à l’équipe : « Soyez fiers de vous, les gars ! »
Le règlement ne favorise pas le pensionnaire de Swiss League. Vos chances de promotion sont minimes ?
Tout est fait sportivement, économiquement, structurellement pour protéger les clubs de National League. Nos adversaires utilisent les règlements à bon escient. Ajoie a usé de tous les leviers possibles pour ne pas devoir disputer ce barrage. Sans succès. Aujourd’hui, des joueurs du finaliste Bâle renforcent leur équipe et nous débutons la série à l’extérieur. Cela fait vingt ans qu’existe une inégalité de traitement. J’espère un jour accéder à la Nationale League pour prouver que je ne défends pas uniquement cette opinion en étant en deuxième division. Tous les promus, qui se sont battus contre le système, ont retourné rapidement leur veste une fois en National League. Il existe un problème au niveau du hockey suisse.

Le HC Viège est champion suisse 2025 de Swiss League. Son dernier titre datait de 2014.
Tout est fait sportivement, économiquement, structurellement pour protéger les clubs de National League.
En cas de défaite, vos objectifs changeront-ils la saison prochaine ?
Pas l’objectif sportif. Viège essayera de jouer le haut du classement. Et si l’occasion se présente de briguer une place au niveau supérieur, on tentera à nouveau notre chance. Nous déposons notre dossier chaque année. Le plus important est de poursuivre notre travail de se battre pour plus d’équité dans le hockey. Au final, la ligue est secondaire.
Et vos objectifs économiques ?
Le plan est assez simple. Nous avons prévu une réduction du budget de 500 000 francs. Ces dernières années, le club vivait un peu au-dessus de ses moyens. Certains événements étaient organisés pour boucler les comptes. Le budget passerait de 6 millions à 5,5 millions de francs.
Mais si Viège obtenait une promotion, le budget serait considérablement augmenté.
Oui, on va devoir passer à la BCVS (rires). Sérieusement, il serait doublé pour atteindre les 12 millions de francs. Notre budget sponsoring, actuellement de 2 millions, devra être augmenté de 1 million. Nous recevrions 2 millions net issus des droits TV et des sponsors de la National League. Les revenus de la billetterie seraient en hausse de 1,5 million. Ce sont des calculs réalistes, qui ne tablent pas sur une patinoire à 100% remplie. Mais le Valais n’est plus représenté en National League depuis plusieurs décennies. La première année, une euphorie cantonale pourrait naître autour d’un tel projet.
En cas de promotion, notre budget serait doublé pour atteindre les 12 millions de francs.
Viège serait clairement le leader valaisan du hockey ?
L’histoire l’a montré, le rayonnement cantonal dépend de la situation de chacun des clubs, Viège, Sierre ou Martigny. Quand une équipe joue des matches importants ou en National League, elle attire automatiquement un public valaisan. En saison régulière, 15 à 20% de notre public est francophone. Le chiffre a doublé durant les play-offs. Il ne faut pas oublier la petitesse du bassin de population haut-valaisanne. Aujourd’hui, 30% de nos fonds proviennent du Valais romand. La National League offre une visibilité beaucoup plus importante pour les partenaires. Nous avons reçu des signaux favorables de l’économie valaisanne en cas de promotion.
Comment s’effectue le choix de vos partenaires ?
Le club est assez bien structuré. Quel que soit le secteur, le travail de démarchage et de suivi des partenaires se fait au quotidien, même si le président du Conseil d’administration Stefan Volken et moi-même sommes très impliqués dans l’acquisition des partenaires. Pour la majorité, c’est nous qui les approchons. Le HC Viège dénombre 300 partenaires au total et 95% d’entre eux nous sont fidèles. Nous essayons vraiment d’entretenir un lien fort avec eux. Une partie de notre business model s’appuie sur le networking (réseautage). Nos événements réunissent de 300 à 400 participants. Notre plateforme rassemble le Haut et le Bas-Valais.
En termes d’image, c’est important de s’associer à des marques valaisannes telles que la BCVS ?
L’actionnariat du HC Viège le montre : le club appartient à la région. C’est un club de la région, pour la région, par la région. Nous venons par exemple de signer un contrat de longue durée avec un important partenaire valaisan pour le secteur gastronomique. On est clairement 100% local. C’est une véritable stratégie pour laquelle on se bat, et qui est appréciée à la fois des supporters et des partenaires. Elle s’étend à des domaines plus commerciaux comme la BCVS. C’est un partenariat historique fort, basé sur l’échange et la confiance. Nous en sommes fiers et contents.
La BCVS ? C’est un partenariat historique fort, basé sur l’échange et la confiance. Nous en sommes fiers et contents.
Vous êtes en poste depuis 2005. Comment faites-vous pour durer dans une telle fonction ?
Je vous glisse une anecdote. Lorsque Viège a voulu m’engager, il m’a prévenu : « Nous n’avons pas d’argent. Mais si tu fais tes preuves, nous augmenterons ton salaire. » En tant que directeur, je touchais 2500 francs par mois, en travaillant 16h par jour et 7 jours sur 7. Le club était endetté à hauteur de 1 million de francs et son chiffre d’affaires se montait à 1,9 million. Le club a dû être sauvé et assaini. C’était toute la beauté de ce défi, d’autant plus pour un Sierrois. Vingt ans plus tard, je suis toujours présent, et avec un meilleur salaire. Une preuve de la confiance et de la fidélité que m’ont témoignées le Haut-Valais.
Je repose la question. Qu’est-ce qui vous a animé durant toutes ces années ?
Il y a toujours eu des projets qui m’ont nourri : le projet économique d’assainir le club, le projet sportif avec les titres, le projet de la patinoire, la gestion du Covid, notre repositionnement. L’effervescence actuelle dans le Haut-Valais me procure un plaisir indescriptible. J’ai la chance de pouvoir vivre de mon hobby, comme au premier jour.
Comment gère-t-on une entreprise qui est dépendante de résultats sportifs, donc aléatoires ?
J’ai tout d’abord la certitude de gérer une centaine de collaborateurs, et tu es guidé par cette responsabilité. Ensuite, il faut surtout fixer de bonnes valeurs au sein de l’entreprise et prendre le temps de résister à la pression. Nous ne vivons pas dans un monde de bisounours, mais de requins. Le management est discuté quand ça ne va pas. Avec l’expérience, on sait ce qui est juste, même si ce n’est jamais facile d’être sous les feux de la critique. Ma responsabilité est de donner les conditions cadres, de s’entourer des bonnes personnes. Il faut se réinventer, apprendre le fonctionnement de la nouvelle génération, et permettre au club d’évoluer.
Ce fut un travail de fond, pas très sexy, mais basé sur les bonnes valeurs. Aujourd’hui, le Haut-Valais reconnaît ce travail et est fier du titre de Swiss League.
Quel a été votre moment le plus compliqué ?
Avec la création de la nouvelle patinoire, nous avons construit un contingent de joueurs avérés, expérimentés. Nous avons engagé des noms. Nous n’avons jamais vendu autant d’abonnements qu’à cette période. Nous avons retiré des bénéfices économiques à court terme, mais sportivement ce n’était pas la bonne réponse. A l’inverse, quand nous sommes allés chercher des jeunes joueurs, pas connus, nous avons perdu du public et un peu de crédibilité. Mais ce fut la clé de notre réussite. Ce fut un travail de fond, pas très sexy, mais basé sur les bonnes valeurs. Aujourd’hui, le Haut-Valais reconnaît ce travail et est fier du titre de Swiss League. Il est très important pour la région.
Images du texte : ©Astrid Schaffner